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The Pan African Music Magazine
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À Essaouira, le Festival Gnaoua fête 20 ans de transe, et d'expériences !

Karim Ziad, batteur virtuose, est l’un des deux directeurs artistiques du festival. C’est lui qui, depuis 2001, est chargé d’inviter les artistes étrangers à découvrir et à partager cette tradition musicale. Et ils sont nombreux, quelque soit leur univers d’origine, à s’être aventurés sur les terres ou le gembri (guitare basse traditionnelle), les chants et les karkabous (castagnettes métalliques) font monter la température des jam sessions.
De Macéo Parker à Wayne Shorter, d’Omar Sosa aux Ambassadeurs en passant par Nneka, Trilok Gurtu, Kimani Marley, Joe Zawinul, Bassekou Kouyaté, Asian Dub Foundation….
La liste est aussi longue qu’impressionnante, et éclectique.

Pam a rencontré Karim Ziad, chez lui, à Paris, avant le lancement de cette 20è édition.

PAM Peux tu nous raconter un de tes meilleurs souvenirs du festival ?

Karim Ziad : La rencontre de Pat Metheny avec les gnawas ca a été pour moi l’un des plus beaux concerts… il a changé sa manière de jouer de la basse après ça, inspirée du gembri (la basse traditionnelle des gnawas, instrument joué par le maalem, le maître, dans les cérémonies). Joe Zawinul, Wayne Shorter… tous ces grands noms du jazz ont côtoyé cette musque et en ont gardé un souvenir inoubliable. Pour Joe Zawinul, y’a eu un avant et un après Essaouira, c’est lui qui le dit.Je l’avais invité tout seul, sans son groupe, mais avec Linley Marthe, le super bassiste avec lequel il a beaucoup joué. Avec eux, le percussionniste Tafa Cissé et moi, on a fait un petit groupe pour jouer avec Hamid el Kasri, un des grands gnawas du Maroc. Et Joe m’a dit que ce sentiment musical, il l’avait toujours recherché, et qu’il l’avait trouvé là, à Essaouira. Cette musique gnawa, elle n’est pas connue de tous les musiciens, et beaucoup cherchent à la comprendre, parce que c’est un monde à part. C’est une langue qu’on comprend plus facilement quand on est africain. Y’a deux sortes deux rythmes en même temps, binaires (comme dans le funk) et ternaires (comme dans la valse). C’est le mélange des deux qui fait l’originalité de la musique gnawa.

La musique gnawa, c’est une musique de frontière, qui mélange les cultures du Sud et du Nord du Sahara ?

C’est une musique d’Afrique noire qui a voyagé, et cette même musique noire arrivée en Afrique du Nord a donné le diwan en Algérie, le gnawa au Maroc, ou le stambeli en Tunise. Elle est partie au Brésil, à Cuba, et à donné de nouvelles musiques. En Amérique du Nord ça a donné le Gospel. L’histoire de la musique gnawa et celle du gospel c’est la même, mais elles ne se sont pas métissées avec les mêmes cultures.

En Afrique du Nord, les gnawas ont chanté des saints musulmans car il était interdit de faire des rites païens. Il fallait croire en Dieu et à son prophète. A partir de là, tu fais ce que tu veux au milieu de la nuit, tant que tu as « islamisé » les cérémonies. C’est pareil chez les chrétiens avec le gospel, c’est une forme de musique de transe, et ça a été fait de telle façon que ça puisse exploser, comme la musique Gnawa ! Pareil pour la santeria cubaine. C’est une histoire de rencontre. La musique est partie d’Afrique et ici la rencontre a donné telle musique, la-bas une autre musique etc…

Peux-tu nous parler du mâalem, le maître, dans la musique des Gnawa ?

Le Mâalem c’est l’héritier d’un mâalem, qui lui-même a pris sa baraka (son don, sa bénédiction) d’un autre mâalem avant lui. C’est le mâalem qui détient tout le répertoire, qui possède l’art du gembri : il sait quelle note jouer pour invoquer telle ou telle entité (sprirituelle, ndlr). Il va venir dans une maison pour un rite, une lila au Maroc ou un diwan en Algérie… au Maroc, il y a un moqadem, un homme ou, souvent, une femme à laquelle on prête des pouvoirs de voyance ou de guérison. A une certaine période de l’année (souvent le mois qui précède celui du ramadan), elle va réunir ses « patients » – une vingtaine- pour organiser la lila. Le mâalem arrive alors avec ses musiciens : c’est lui qui doit sacrifier l’animal pour ouvrir la cérémonie, et puis il doit jouer pendant la nuit sous le contrôle du voyant. Le mâalem connaît tous les morceaux, sait repérer si le « patient » est en transe, et reconnaître l’entité qui a pris possession du corps de la personne. Il sait ce qu’il faut faire en musique pour la libérer, jusqu’à ce que la personne, au bout de la transe, s’affale. Si le mâalem n’est pas bon, c’est pire pour la santé mentale des gens ! En fait, il agit comme un psychotérapeute : avant il n’y avait pas des psys, donc il fallait se libérer d’une façon ou d’une autre. Même sans croire aux esprits, la musique elle-même a ce pouvoir de faire entrer en transe. Regarde dans les discothèques aujourd’hui, les gens viennent s’extérioriser, grâce à la musique.. Chez nous, c’était l’ancienne façon de se faire du bien. Avec tous les interdits liés à l’Islam, à la condition de la femme, à celle des homosexuels… pour tous ceux-là c’est un besoin vital, ils faut qu’ils le fassent une fois par an. Les gens se libèrent d’un fardeau et son beaucoup plus légers après. Moi j’ai fait beaucoup de lilas, et on assiste à des choses inexplicables. Comme ces Français venus au festival et qui ont demandé à faire une lila. L’un d’entre eux avait un psoriasys qui ne partait pas. De retour chez lui, il a écrit au festival pour dire qu’il était immensément reconnaissant : il était guéri.


« MOI JE CROIS QUE LES GNAWAS NE FONT QUE DU BIEN. COMME DES PSYS. MAIS ILS NE DONNENT PAS DE CACHETONS, ILS NE DONNENT QUE DU SON. »


Comment les gnawas et leur musique sont-ils perçus par les religieux ?

C’est pas bien vu par les religieux. Même si la musique gnawa est religieuse aussi quelque part, puisqu’on chante Dieu, le Prophète , ses saints, et qu’on leur fait des louanges. Mais en Arabie Saoudite, c’est pas le même islam. Nous, on a le culte des saints, mais eux le récusent. En Islam normalement, il n’y a que le prophète et Dieu. Alors entrer en transe… autant dire que ça passe pas chez les Wahabites. Et nous on a cet Islam-là qui est ancré en nous, cet Islam occulte des saints. Chaque ville a un ou plusieurs saints. Sidi Bel Abbès en Algérie, c’est une ville qui porte le nom d’un saint. A Alger, les familes des classes populaires viennent honorer une fois par an le mausolée de Sidi Abderhamane. Dans mon quartier à Alger, j’habite à 100 m du mausolée d’un saint, et dans ce mausolée il y a un jardin, et à l’intérieur il y a une pièce avec des bougies toujours allumées. C’est un peu notre héritage africain.

Aujourd’hui, il y a une pression que je ne ressentais pas avant : les religieux ne sont pas d’accord avec cette pratique. Toutes ces transes, c’est très mal vu. Ca reflète un peu la liberté de faire ce que tu veux même si c’est interdit, et ça, c’est pas dans le cahier des charges des religions. C’est pas spécialement l’art qui est remis en question, mais plutôt l’ampleur qu’il prend. Beaucoup de gens n’ont rien à voir avec cette musique mais quand les gnawas jouent, ils entrent en transe. Quand j’étais plus jeune, ma mère ne voulait pas que je m’approche des cérémonies, elle avait peur que je sois « pris ». On avait peur. Mais maintenant les gnawas ne sont plus cachés, et c’est ça qui déplaît aux religieux. Ils voudraient gommer le syncrétisme ou l’animisme qui est en nous. Mais quand tu poses la question aux gnawas, ils te disent « mon saint, mon wali, il interfère pour moi auprès de Dieu ». Les religieux modérés viennent aux lilas, mais les plus durs d’entre eux combattent ça ! Car l’Arabie saoudite, que tout le monde écoute comme un grand professeur, dit que c’est interdit…. Alors mieux vaut rester dans le côté superficiel, celui de la musique. Moi je crois que les Gnawas ne font que du bien. Comme des psys. Mais ils ne donnent pas de cachetons, ils ne donnent que du son.

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